Caroline Riegel, un nouveau film avec les Semeuses de joie

Leurs sourires et leur bonne humeur avaient ému des milliers de spectateurs en 2015 lors de la tournée du film Semeuses de joie. Les nonnes de Tungri, au Zanskar, sont de retour à l’écran grâce à Caroline Riegel, qui a voulu montrer leur quotidien dans une vallée isolée à 3500 mètres d’altitude. Zanskar, les promesses de l’hiver est programmé dans la plupart des festivals de films de montagnes, de voyage et d’aventure, en attendant une diffusion sur Arte dans quelques semaines.

Pourquoi avoir voulu faire un deuxième film sur ces nonnes du Zanskar ?

Caroline Riegel : Au départ, je ne voulais pas filmer, je voulais simplement passer cet hiver 2020 seule avec elles, comme il y a quinze ans lorsque je les ai rencontrées (NDLR : Caroline a appris leur langue et la parle couramment). Trois semaines avant de partir, Marianne Chaud (NDLR : ethnologue, réalisatrice et elle aussi spécialiste du Zanskar) m’a encouragée à reprendre la caméra, ce à quoi je ne m’étais pas préparée. Pour le premier film, Semeuses de joie, j’étais seule, j’emmenais ces femmes en voyage à travers l’Inde, elles qui n’avaient jamais quitté leur vallée. En rentrant, j’étais épuisée, puis il m’a fallu trois ans pour réaliser le film, que je considérais comme un outil de mémoire pour ces femmes, un outil pour communiquer et partager ce que nous avions vécu autant là-bas qu’ici. Ce film a eu une résonance inouïe. Beaucoup de spectateurs se sont sentis liés à ces nonnes, j’ai reçu des piles de lettres auxquelles je ne savais pas forcément comment répondre. Les retombées autour du film et des conférences ont aussi permis de faire beaucoup de choses à la nonnerie : construction d’une école, d’un réservoir d’eau, de cellules pour les jeunes, réparation du bâtiment principal, installation d’une centrale solaire, d’une enceinte contre les ours, d’une serre… Continuer à porter cette dynamique est essentiel pour l’avenir de la nonnerie, et je me rends bien compte que ce partage est important pour nous tous. Et puisque mon compagnon se joignait au voyage, je me suis dit : « Ok, on filme cet hiver au Zanskar, au coeur du bonheur ».

Qu’est-ce que tu as voulu raconter cette fois ?

Caroline Riegel : Ce deuxième film pose des questions complémentaires à celles abordées dans Semeuses de joie. J’ai voulu montrer la capacité des nonnes à vivre en harmonie, à nous toucher au coeur par leur regard dénué de jugement, à nourrir une intelligence collective, choses qu’on peine à faire chez nous. Les nonnes savent que la colère est un poison qui ne permet pas de prendre le dessus. Surtout elles vivent un bonheur modeste et peu destructeur. Mais je dévoile aussi la complexité de ce bonheur et de cet environnement. Non, la vie de ces femmes n’est pas facile et leur joie est le fruit d’un travail quotidien qui ancre leurs valeurs avec beaucoup de force. Se pose aussi la question de la valeur de la femme ! Ce film est un prétexte à semer leur joie, mais aussi à réfléchir, à s’inspirer d’elles.

Ton film est produit par la société Zed et sera diffusé par Arte, comment les as-tu convaincus ?

Caroline Riegel : C’est une chance inouïe qu’Arte ait accepté le film après le tournage des images. Comme pour Semeuses de joie, j’ai fait les choses à l’envers. Zed et Valérie Abita, la société de production et productrice, ont su m’accompagner avec beaucoup de professionnalisme, d’enthousiasme et de ténacité. Aujourd’hui, il y a peu de cases à la télévision pour le documentaire d’auteur et le formatage est pressant. On est frileux à porter des regards engagés sur le monde, à permettre les hors champs et c’est dommage. Je reste convaincue qu’il faut mettre l’homme face à la diversité car elle est essentielle. Qu’il faille des règles, des cadres est une évidence, mais pas d’uniformité. En même temps, je me suis sentie incapable de monter et produire ce film seule en parallèle de mon travail d’ingénieure, des projets que je mène avec l’association Thigspa à la nonnerie et du récit photographie Semeuses de joie, paru en octobre 2021. La télévision donne les moyens de travailler avec des pros, des gens à l’expérience solide et sensible qui aident à prendre du recul. Par exemple, Serge Turquier le monteur a été extraordinaire et je lui dois beaucoup pour ce film. C’est une chance de s’entourer de professionnels au regard aiguisé.

En attendant la diffusion sur Arte, est-ce important pour toi de voir le film projeté en festival ?

Caroline Riegel : Les festivals sont bien plus importants qu’il n’y parait car c’est là que le film devient véritablement un outil de rencontre, d’échange, de réflexion collective : une bulle dans laquelle les gens entrent et ressortent nourris. On ne vit pas de la même manière, dans son coeur, sa tête et son corps, l’âme d’un film regardé sur son téléphone que lorsqu’il est apprécié dans une grande salle avec une énergie collective. On ne consomme pas de la même manière l’autre et le monde lorsqu’il s’enrichit de présentiel, alors qu’il a fallu tant de temps et d’efforts pour réaliser et offrir cette bulle ! Avec l’échange qui suit la projection, on peut aller au-delà, s’interroger, se questionner, se rencontrer et partager la joie, expression du bonheur qui n’existe que dans le collectif !

Pour voir Semeuses de joie : https://alpinemag.fr/semeuses-de-joie/

Pour commander le livre Semeuses de joie et connaitre toutes les dates de projection de Zanskar, les promesses de l’hiver : https://www.carolineriegel.org

Propos recueillis par Sophie Cuenot, coordinatrice du FODACIM 

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