Entre liberté idéalisée de ces grands espaces et précarité d’un métier qui s’exerce 24h/24, il y a tout un monde qu’Aude Joël nous dévoile dans « Quartiers d’été ». Quatre bergers et bergères, leurs chiens et des centaines de brebis, ce sont les protagonistes de ce documentaire qui nous immerge, le temps d’une estive, dans la vie quotidienne de ces hommes et femmes qui vivent et travaillent en alpage.
« Parole de réal » avec Aude Joël, réalisatrice de Quartiers d’été, un film soutenu par le FODACIM.
Tu n’es ni réalisatrice, ni bergère, d’où vient cette idée de documentaire sur ce métier si particulier ?
J’ai un peu découvert le monde des bergers par hasard parce que j’ai de la famille qui travaille à la montagne. L’idée de faire un film m’est venue pendant une pause professionnelle et ça a vraiment surgi d’une rencontre avec des gens qui m’ont fait découvrir leur métier et leurs modes de vie pendant 3 mois. Ca correspondait à des questions que je me posais à ce moment-là sur la manière de vivre, sur le rapport au monde, sur le rapport à la nature, à la connexion et à la déconnexion.
Tu poses un regard bienveillant et juste sur ce milieu, quelle a été ton intention en faisant ce film ?
Mon idée était d’essayer de retranscrire les émotions, les situations et le quotidien qui est extraordinaire pour la plupart des gens mais qui a aussi une part d’ordinarité. On se lève le matin, on prend son petit déjeuner, on part travailler… J’avais aussi envie de montrer cet esprit contemplatif parce que l’alpage c’est ça parfois : ça s’accélère d’un coup, pendant deux heures on court dans tous les sens. Puis les deux heures qui suivent, les brebis chôment et on trouve un coin à l’ombre pour lire ou faire la sieste.
Après un été en alpage, tu as voulu remonter l’été suivant pour faire un film. Comment as-tu préparé et réalisé ce tournage ?
J’ai profité des intersaisons et de l’hiver pour écrire. J’avais des notions de photos et de réalisation mais sous l’angle institutionnel. Ce film, il fallait que je le fasse seule parce que ce n’est pas possible d‘emmener une équipe de tournage. Les personnes que j’ai rencontrées étaient d’accord pour être filmées mais sans avoir toute une équipe autour. Ça se voulait très intimiste et c’est aussi ce dont j’avais envie !
Pour tourner, je montais généralement 4-5 jours sur un alpage et je restais avec un berger. Puis je redescendais 2 jours pour recharger les batteries et dérusher. Et je remontais quelques jours sur l’alpage suivant. J’ai fait ça pendant 3 mois et demi. Au final, c’était une expérience pour moi aussi.
“Mon idée était d’essayer de retranscrire les émotions, les situations et le quotidien qui est extraordinaire pour la plupart des gens mais qui a aussi une part d’ordinarité.”
Aux yeux du spectateur, la caméra est très discrète. Comment arrives-tu à faire oublier ta présence et celle de ta caméra ?
J’ai énormément filmé. Je filmais du matin au soir, ce qui était très épuisant mais qui permettait peut-être parfois d’occulter la caméra. Je ne disais jamais « action » ou « c’est bon on a une séquence ». La caméra tournait tout le temps ! Cela permettait de capter des choses que je n’aurais pas pu avoir si je n’avais pas fonctionné comme ça. C’est aussi l’esprit du film, je n’ai pas écrit de synopsis, j’avais envie que ça soit vraiment immersif et au plus proche de ce que je pouvais vivre pendant cette estive là.
Le montage a dû être une véritable épreuve avec tous ces rushs. Quels ont été tes critères pour sélectionner les bonnes images et créer la trame ?
Le montage a été assez difficile, un peu une expérience dans l’expérience. J’ai travaillé avec un monteur, José Ostos, que j’ai rencontré assez tôt dans le projet, avant de commencer à tourner. Il avait l’expérience de ce genre de tournage et en terme de philosophie de film, on était plutôt dans le même registre. Il m’a beaucoup conseillé au moment du tournage puis au montage, on a fait un travail d’identification des séquences. L’idée était assez claire que la trame du film ce n’était pas une histoire en tant que telle mais des séquences assez représentatives des situations et des problématiques que chaque berger peut rencontrer.
Peux-tu décrire ton processus d’écriture ?
J’avais beaucoup écrit sur l’intention et de quelle façon ça me parlait. Mais je n’avais pas
d’histoires et de synopsis écrit. J’avais une bonne image des situations que je pourrais rencontrer parce que j’avais un peu vécu ça l’année précédente. J’ai aussi eu une aide à l’écriture avec l’association Vidéadoc, basée à Paris. Ils proposent une aide à l’écriture du dossier. C’était assez tôt dans le projet, avant d’écrire, avant de tourner puis après avoir tourné. Cela m’a poussé à me poser des questions sur l’écriture du film également, cela m’a fait réfléchir sur la manière de faire.
Tu as aussi travaillé avec une société de production pour faire une version 52min de ton film.
Pour la version longue, j’ai écrit et tourné le film seule. Tout a été auto financé au départ puis à partir du moment où le FODACIM m’a aidée, il y a d’autres financements qui sont arrivés (parcs nationaux, département).
Le travail avec un producteur ne concerne que la version 52min et la diffusion sur France 3. Je connaissais un producteur dont le frère est berger dans les Pyrénées. Quand il a vu le teaser, il m’a proposé de l’envoyer à plusieurs chaînes et c’est France 3 PACA qui a souhaité le diffuser. Cette version est adaptée de la version longue.
Quartiers d’été de Aude Joël, 1h18. Voir la bande-annonce